Aujourd’hui, tout ou presque se passe en ligne. Prendre un rendez-vous médical, faire sa déclaration d’impôts, envoyer un CV, ou même garder contact avec ses proches. Pourtant, pour une partie de la population, ces gestes simples sont un véritable casse-tête. Une barrière invisible s’est installée : celle de l’illectronisme.
Un mot peu connu, mais une réalité très présente.
Qu’est-ce que l’illectronisme ?
Le mot peut surprendre. Illectronisme. Il est né au début des années 2000, en France, de la contraction entre « illettrisme » et « électronique ». Il fait référence à l’incapacité — ou à la grande difficulté — à utiliser les outils numériques dans la vie de tous les jours.
Ce n’est pas un problème d’accès à Internet ou de possession d’un ordinateur. Non. C’est une question de compétences. Savoir se servir d’un clavier, ouvrir un document, remplir un formulaire en ligne, envoyer un mail, se connecter à un espace personnel… Toutes ces petites actions qui font partie du quotidien numérique échappent à beaucoup de gens.
Un phénomène plus répandu qu’on ne le pense
On pourrait croire que l’illectronisme ne touche qu’une petite partie de la population. C’est faux. Selon l’Insee, environ 14 millions de Français sont concernés. Cela représente un quart des adultes. C’est énorme.
Parmi eux, certains ne savent pas comment allumer un ordinateur. D’autres peinent à comprendre une page web. D’autres encore n’ont jamais envoyé un courriel ou se retrouvent perdus devant un formulaire en ligne. Ce n’est pas une question d’intelligence ou de volonté. C’est simplement que personne ne leur a appris, ou que les outils numériques ont évolué trop vite pour eux.
Des profils très variés
On pense souvent aux personnes âgées. Et c’est vrai, plus de 60 % des plus de 75 ans rencontrent de grandes difficultés avec le numérique. Mais elles ne sont pas les seules. Les personnes sans diplôme, les foyers modestes, les chômeurs, les personnes en situation de handicap ou vivant dans des zones rurales sont aussi fortement touchées.
Les statistiques parlent d’elles-mêmes :
- Une personne sans diplôme a 7 fois plus de risques d’être en situation d’illectronisme.
- Les foyers les plus pauvres sont 6,6 fois plus exposés que les plus aisés.
- Même chez les jeunes, certains n’ont pas les bases. Ils savent utiliser les réseaux sociaux, mais pas forcément écrire un mail ou chercher une information fiable.
Des conséquences lourdes, au quotidien
L’illectronisme n’est pas juste une gêne. C’est une vraie barrière.
Pour trouver un emploi : Impossible sans savoir consulter les annonces, créer un CV, postuler en ligne.
Pour faire une demande d’aide sociale : Tout passe par des démarches dématérialisées. Sans accompagnement, beaucoup renoncent à leurs droits.
Pour rester en contact avec ses proches : Quand on ne sait pas utiliser un smartphone ou une messagerie, l’isolement devient plus profond.
Et ce n’est pas tout. Ne pas savoir se servir d’Internet, c’est aussi être plus vulnérable face aux arnaques en ligne, aux faux sites, au phishing. On peut facilement cliquer sur un lien frauduleux, partager ses données sans s’en rendre compte ou tomber dans le piège d’un faux mail.
L’illectronisme renforce les inégalités. Il crée une double peine : l’exclusion numérique vient souvent s’ajouter à une précarité sociale, économique ou culturelle déjà bien ancrée.
Pourquoi ce phénomène prend-il autant d’ampleur ?
Tout simplement parce que le numérique s’est imposé très vite, trop vite parfois. En quelques années, notre société a tout dématérialisé : impôts, CAF, santé, éducation, banque, emploi… Aujourd’hui, il faut être connecté pour exister administrativement.
La pandémie de Covid-19 a accéléré cette tendance. Avec les confinements, la quasi-totalité des démarches s’est faite en ligne. Pour beaucoup, ce fut un vrai choc. Soudain, il fallait se débrouiller seul avec un ordinateur, comprendre des plateformes complexes, créer des comptes, télécharger des documents… Et ceux qui n’avaient pas les compétences nécessaires ont été mis de côté.
Que fait-on pour lutter contre l’illectronisme ?
Heureusement, des initiatives existent. L’État a mis en place un plan national pour l’inclusion numérique. Plusieurs leviers sont activés :
Des conseillers numériques
Plusieurs milliers de professionnels ont été formés pour accompagner les citoyens dans l’usage du numérique. Ils interviennent dans des lieux publics, des médiathèques, des centres sociaux, ou encore des maisons de service au public.
Des formations adaptées
Des ateliers pratiques sont proposés pour apprendre les bases : utiliser un clavier, envoyer un mail, créer un mot de passe sécurisé, remplir un formulaire. Des cours sur mesure, souvent gratuits, ouverts à tous.
Des lieux d’accueil : les espaces publics numériques (EPN)
Ces centres, présents dans de nombreuses communes, permettent à chacun de venir poser des questions, être accompagné, apprendre à son rythme.
Des outils plus simples
Des efforts sont aussi faits du côté des plateformes numériques. Certaines administrations repensent leurs sites pour les rendre plus lisibles, plus accessibles, plus intuitifs.
Comment aller plus loin ?
Même si ces mesures vont dans le bon sens, elles ne suffisent pas encore. La lutte contre l’illectronisme doit devenir une grande cause nationale, au même titre que l’illettrisme. Cela passe par :
- Une meilleure sensibilisation dès l’école, en formation professionnelle, et dans les médias.
- Un accès facilité à du matériel pour ceux qui n’en ont pas les moyens.
- Des démarches alternatives pour ceux qui ne peuvent vraiment pas suivre le rythme du tout-numérique.
Et surtout, il faut rompre avec le jugement. Beaucoup de personnes en situation d’illectronisme ont honte. Elles n’osent pas demander de l’aide. Il est essentiel de revaloriser l’apprentissage, de créer du lien humain, et d’accompagner sans stigmatiser.
Dans un monde où tout devient numérique, ne pas maîtriser les outils technologiques, c’est risquer de rester sur le bord du chemin. La fracture numérique est aussi une fracture sociale. Pour la combler, il faut de la pédagogie, de la patience, de la solidarité… et surtout, de l’humain.