Cinéma berbère

La naissance du cinéma berbère

Depuis l’indépendance, en dépit d’une politique d’arabisation intensive, l’identité amazigh a continué à s’exprimer, essentiellement à travers ses poètes, ses musiciens et ses chanteurs. Pour le cinéma, il aura fallut attendre plus de trente ans. Du temps de Boumediene, puis de Chadli, il était hors de question que la production algérienne, totalement nationalisée, s’autorise un détour par la berbérité.

Le cinéma berbère des années 90


Dès que le système a commencé à se fissurer, au début des années 90, les réalisateurs amazighs ont conquis leur place à l’écran. Car il s’agit bien d’une conquête, celle d’un territoire inexploré cinématographiquement de la culture algérienne. Les quatre longs métrages tournés à ce jour en langue Tamazight –La colline oubliée, Machaho, La Montagne de Baya et Si Mohand ou M’hand- échappent aux normes de la production algérienne, compte tenu de leur montage financier, de leur infrastructure générale et, pourrait-on ajouter, de leur acharnement à exister.

La colline oubliée, premier long métrage de fiction en langue berbère sort en janvier 1995. Que ce film soit l’adaptation du célèbre et emblématique roman de Mouloud Mammeri n’est évidemment pas un hasard. Son réalisateur, Abderrahmane Bouguermouh, précisait d’ailleurs dans la note d’intention ouvrant le dossier de presse : « Entre Mouloud Mammeri et moi, il y avait un serment : si l’honneur nous revenait un jour de faire le premier film en berbère, ce serait La colline oubliée (…) Il y avait aussi ce contrat passé avec la Kabylie : œuvrer pour la renaissance de sa culture ».

Abderrahmane Bouguermouh, le pionnier du cinéma berbère


Dès 1965, Bouguermouh tourne un moyen métrage en langue tamazight, Comme une âme, qui lui vaut son licenciement et la confiscation du film. Cela ne l’empêche pas de récidiver trois ans plus tard, en déposant le projet de La colline oubliée, devant la commission du scénario. Bien qu’en 1952 Mammeri ait écrit son roman en français, lui et Bouguermouh tiennent absolument à ce que le film se fasse en berbère. Le projet n’est pas retenue.
Le réalisateur essaie alors, en vain, de monter la production à l’étranger, avant de présenter à nouveau le scénario aux instances officielles 20 ans plus tard, en 1988. Elles acceptent enfin, mais du bout des lèvres : l’apport du CAAIC se limite à la mise à disposition du matériel de tournage et de l’ équipe technique. Bouguermouh obtient parallèlement 4 millions de dinars, soit un huitième du financement, grâce à l’appui d’un comité où siègent nombre d’intellectuels comme Rachid Mimouni.

Le reste du budget est monté via des associations, des élus locaux, des artistes, qui se mobilisent en masse pour assurer décors, costumes, accessoires, figurants et acteurs non professionnels et , bien sûr, financements. Bouguermouh n’est pas au bout de ses peines car en fait le film n’est pas fini : le laboratoire d’état qui a assuré le tirage de la copie a , comme cela arrive souvent, loupé le travail. Et toute la post-production reste à faire. Il faudra attendre deux ans pour que le film, ayant trouvé sa forme et sa durée définitives, sorte enfin.

Bouguermouh déclare alors au quotidien Liberté : « Ce sera mon dernier film. Je suis arrivé à mon objectif final ; là s’arrête irrévocablement mon parcours de cinéaste. » Au journal El Watan qui lui demande si le film est tel qu’il l’avait rêvé, le réalisateur répond sans détour : « Pas du tout. Je n’avais pas les moyens techniques. Pour nous, ce qui comptait, c’était d’abord de faire un film en Tamazight. On doit se contenter de ça. Cela ne veut pas dire que La colline oubliée est un mauvais film. C’est au public de juger. Mais il y avait un choix à faire. Soit faire un très bon film, et il fallait des devises pour tout acquérir : matériel, costumes, techniciens ; beaucoup d’argent pour me débarrasser des corvées et m’occuper seulement du film, ce qui n’était pas le cas, hélas ! Soit profiter de l’occasion et se dépêcher de faire ce film avant qu’il ne soit trop tard, avec les moyens du bord. J’ai choisi cette deuxième solution et il me semble que j’ai eu raison ».

Contre vents et marées


Les mêmes difficultés de financement seront rencontrés par les deux films suivants en tamazight, Machaho (1996) et La montagne de Baya (1997).Ces deux films sont parmi les premiers à avoir eu recours à un système de production indépendante. En l’occurrence Imago Films, société créée par Belkacem Hadjadj et Azzedine Meddour.
Mille problèmes financiers font presque capoter les projets et bloquent à plusieurs reprises la réalisation. S’y ajoutent les menaces qui pèsent sur les réalisateurs, comme sur beaucoup d’intellectuels durant cette période. Alors qu’il prépare le film, Meddour doit par exemple changer de toits tout les soirs. Les tournages sont donc des entreprises à haut risque, d’autant que la Kabylie est alors une des régions les plus dangereuse d’Algérie et que la terreur y bat son plein…

Belkacem Hadjadj met pourtant Machaho en chantier en février 1994, soit trois mois après le premier tour de manivelle de La colline oubliée. En juillet,l’équipe tombe dans une embuscade. Le film n’est mené à terme que grâce à la population locale, qui assure un service de protection permanent. « La production de Machaho, premier long métrage en langue berbère, a une histoire. C’est celle des techniciens algériens qui ont démontré leur formidable générosité et leur courage, et celle de leurs homologues français qui, comme eux, ont cru à cette aventure », écrit le réalisateur dans une note de production. Il poursuit : « Qui aurait eu la folie de tourner en 1994 en Kabylie, en décors naturels, alors que chaque jour apportait son lot de nouvelles tragédies ? Qui, sinon des fous mus par l’amour insensé de ce pays et de ce peuple que l’Histoire tourmente ? »

Pour réaliser La montagne de Baya, dont le tournage, plusieurs fois interrompu, dure un an et demi, Azzedine Meddour affronte lui aussi les pires dangers. L’horreur sera au rendez-vous. Dans un local qui abrite des explosifs devant servir à une scène du film, une déflagration éclate et emporte une partie de l’équipe. Une dizaine de techniciens, dont la script trouvent ainsi la mort. Accident ? Dans l’entretien publié dans le dossier de presse,Meddour déclarait : « S’agissait-il d’un attentat ? Il faudrait des preuves et je ne les ais pas ; je ne peux donc pas m’avancer là-dessus. La version retenue affirme qu’il s’agit d’un accident, mais personnellement je n’y crois pas du tout, comme la plupart des gens qui se trouvaient dans le local ».

Quelques mois après ce tragique épisode, qui l’avait durement affecté, Meddour déclarait : « Ce qui est absolument extraordinaire avec ce scénario et l’histoire du tournage, c’est qu’à un certain point c’est devenu le même destin : on se mettait à vivre ce que vivait Baya. Elle luttait pour la survie de certaines valeurs. Nous aussi. Nous étions en train de faire survire l’expression cinématographique, de survivre nous-mêmes en tant qu’être humains, citoyens, créateurs. Nos voulions dire : nous sommes encore là. Pour combien de temps ? Personne ne le savait alors ». Azzedine Meddour décédera en Mai 2000, trois ans après la sortie de son film, d’un cancer.

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