Avec des moyens rudimentaires, inorganisés, sans formation réelle, à la merci de n’importe quelle décision bureaucratique, les cinéastes Algériens se lancent avec ou sans conviction, avec ou sans capacité dans l’arène des images avec l’intention de servir l’indépendance rêvée.
Dès son envol, le cinéma balbutiant consacre sa première décennie au thème de guerre. La reconstitution de certains aspects de cette période s’impose naturellement aux cinéastes. Malgré l’audace et la volonté de témoigner de certains, exceptés leur sincérité, le résultat est décevant.
Leurs visions fardent la dynamique de la guerre de libération. Et altèrent les causes et les facteurs susceptibles d’éclairer sa lecture. Le spectateur pris au dépourvu est planté par les écrans où les metteurs en scène s’apitoient sur la misère. Et jouent à fond la carte de l’opposition du bon contre le méchant.
Les cinéastes présentent au spectateur des héros montés de toutes pièces. Un regard comparable à celui de Feraoun sur Le fils du pauvre Algérien, gêne beaucoup de monde. Sans tomber dans le misérabilisme, la lamentation, et les larmoiements interminables, Feraoun, éclaire avec une extrême lucidité, une facette de l’univers algérien. Celui que l’intelligentsia, brimée par la censure, l’autocensure ou la méconnaissance de sa réalité évite d’évoquer. Malgré l’enthousiasme des cinéastes, les images visibles chantent sur une gamme platonique la « générosité » d’un pouvoir en quête d’audience. Leur contenu semble à des millions d’années lumières de l’Histoire et de la société assassinées sous leur regard. Sous la tutelle des structures étatiques, ils règlent l’objectif de leur caméra sur les angles saillants d’une politique évasive.
Une fois la caméra en marche, les éclairages ne suffisent pas. L’image ne parvient pas à dépasser les faisceaux qui délimitent sa piste. Sa portée est verrouillée. Elle ne laisse place qu’aux simulacres susceptibles de refléter une idée de réalité d’où les espérances du pays rêvé sont exclues.
S’adressant aux hommes de lettres et des arts Mostefa Lacheraf appelle leur attention afin de ne pas tomber dans le piège tendu par un système qui veut s’approprier les hommes et les moyens. “Il ne faut pas écrit-il que les romanciers se rendent complices d’une telle manoeuvre et s’ils doivent parler de l’épopée collective et populaire de la libération nationale qui a réellement existé, qu’ils ne négligent surtout pas d’évoquer le rôle honteux de la bourgeoisie traître et rapace et dire comment la révolution sociale pour laquelle sont mort un million de paysans d’ouvriers et de petits employés et d’intellectuels, a été confisqué, dés l’indépendance ; par les trafiquants, les attentistes et les collaborateurs mal repentis du régime colonial défunt.“
De la longue marche du peuple Algérien, de la dure guerre de libération au cours de laquelle ce dernier a consenti le sacrifice du dixième des siens, et des pertes matérielles considérables, rares sont ceux qui ont retenu les leçons de l’Histoire de ce pays jalonnée d’embûches. Libéré du joug colonialiste celui-ci se retrouve au lendemain de l’indépendance plongé dans un vide empli de mouvements égoïstes. De l’ambiguïté politique de cette période et l’absence d’une remise en cause nette et radicale du capitalisme, il n’y a nulle trace dans le cinéma.
Avec La nuit a peur du soleil 1965 Mustapha Badie voulant retracer la genèse, le déroulement et la fin de la guerre de libération se limite à une représentation construite sur les variables circonscrites. « Pourtant, comme l’écrit Guy Hennebelle, quand on considère le bilan de dix ans de cinéma Algérien, on constate que Badie est le seul qui ait eu l’audace d’évoquer certains problèmes comme le double jeu de la bourgeoisie terrienne, la voracité des parvenus, à l’indépendance la déception de certains militants authentiques »